Dark Vador est-il un bon manager ?
Ou comment achever le chantier de l'étoile noire
June 23, 2015
Hier soir, Dave Lawper s’est pris d’un trip nostalgie et a ressorti un vieux DVD poussiéreux de sa vidéothèque. Star Wars, épisode IV : Un nouvel espoir.
Notre bon vieux développeur a une fascination pour son héros. Celui qui a changé le cours du monde, et dont l’aura ne laisse personne indifférent. Depressed Darth Dark Vador.
Dark Vador fascine Dave Lawper. Rappelez-vous, le petit Anakin Skywalker a débuté sa vie en tant qu’esclave, et il se retrouve après à peine une bonne vingtaine d’années presque à la tête d’un empire incommensurable.
C’est sans aucun doute une ascension fulgurante, assurée par des techniques de management pointues et performantes. On ne peut l’ignorer, les méthodes employées par Dark Vador amènent à des résultats incroyables. Décortiquons donc ses techniques de management qui lui ont valu une telle réussite.
Techniques de management de Dark Vador
La peur
Que fait Dark Vador lorsqu’un objectif qu’il a fixé à un de ses subordonnés n’est pas atteint ? Ayons une petite pensée posthume pour Kendal Ozzel.
Notre pauvre amiral n’a commis que deux erreurs. La première n’en est une qu’aux yeux de Dark Vador. Lorsqu’une sonde envoyée sur le système Hoth remonte un mince indice de la présence des rebelles, Kendal Ozzel refuse de le prendre en considération. Dark Vador est certain d’y trouver la base rebelle, et considère l’ordre de l’amiral comme une première erreur.
L’arrivée peu discrète de la flotte dans le système est sa seconde erreur. La base rebelle a détecté l’arrivée de la flotte impériale et déployé un bouclier de protection, obligeant ainsi l’Empire à affronter l’ennemi au sol. Dark Vador ne tolère pas cette seconde erreur, et prend les mesures nécessaires
Dark Vador punit systématiquement l’erreur et la divergence de point de vue. L’idée sous-jacente qu’on devine est relativement simple : répandre la terreur, qui joue le rôle du meilleur des catalyseurs pour éviter l’échec de quiconque parmi ses hommes.
La pensée universelle
Lorsque Dark Vador effectue une visite sur le chantier de l’étoile noire, le responsable lui indique que les délais sont intenables, et que la main d’oeuvre engagée est insuffisante pour terminer le projet à temps
La solution de Dark Vador est de ne pas laisser le choix au maître d’oeuvre. Il fait fi de la remontée d’alerte, et préfère imposer sa volonté comme une réalité. Il n’a que faire des plaintes ou des problématiques. Ce n’est pas son problème.
Dark Vador reporte donc toute la responsabilité sur ses hommes, ainsi que la pression en résultant. Il ne cherche pas de solution ni d’aide supplémentaire. Ses ordres ont pour vocation d’être réalisés, peu importe leur faisabilité. Ici aussi la technique est simple : ordonner, et considérer que tout sera exécuté, peu importe les problèmatiques rencontrées ou leur infaisabilité.
Le maintien de la stratégie
Dark Vador a des objectifs, et une détermination à toute épreuve. Il ne laisse aucun obstacle se mettre en travers de la réalisation de ses desseins. Sa stratégie est bien définie, et le cap fermement maintenu.
Etant donné que tout est bien déterminé à l’avance, il n’est aucunement nécessaire de s’éloigner du chemin tout tracé. Il faut simplement suivre la direction décrétée, sans jamais s’en éloigner.
Dark Vador ne tient pas compte des obstacles. Il pense qu’ils seront inexorablement écrasés par une stratégie à toute épreuve et un plan bien défini. C’est de cette façon que l’armée rebelle parvient à mettre en pièce l’étoile noire.
Lorsque la flotte rebelle passe à l’assaut de l’étoile noire, il ne décide pas de modifier ses plans et de jouer la sécurité. L’étoile noire poursuit sa trajectoire en direction de la base rebelle pour l’éliminer au plus tôt, oubliant toute prudence. La raison reste obscure, mais on peut imaginer que Dark Vador est partisan de la stratégie “droit au but”, sans pour autant taper dans un ballon.
On constate donc que Dark Vador se dispense d’adaptation et de remise en question de ses choix et de sa stratégie.
Conséquences de la technique de management de Dark Vador
Le credo de Dark Vador, au final, se concentre autour de trois points. Faire planer sur ses hommes un vent de terreur motivatrice, sans jamais écouter leurs retours, et maintenir le cap quoi qu’il arrive. En conséquence, l’atmosphère qui règne est celle de la terreur et de l’immobilisme.
Le dialogue s’en retrouve bloqué. Si quiconque rencontre un problème, il préférera le taire, voire le camoufler. Toute tentative contraire risquerait d’en faire retomber la responsabilité sur lui, et donc la sanction. Cela amène à un verrouillage des initiatives, ce qui empêche tout processus d’amélioration. Les équipes ne peuvent que stagner.
Si aucune initiative n’est prise, personne ne tentera de se démarquer, et ainsi de prouver sa valeur. Or c’est généralement ainsi que se produit l’ascension hiérarchique, ou la montée en compétence. Là encore, les équipes restent à un niveau constant, ancrées dans l’immobilisme.
Pire encore, puisque la progression est découragée, plus personne ne fera d’effort pour s’élever et s’améliorer. Les bons éléments, moteurs d’une équipe, finiront même par quitter le navire dès que possible, laissant les équipes s’embourber dans des habitudes devenant rapidement archaïques.
Au final, les méthodes de Dark Vador sont catastrophiques, et le desservent bien plus qu’il n’aurait pu le penser initialement.
Mais ce n’est qu’un film, et Dark Vador n’a jamais été créé pour représenter l’idée du manager d’équipe.
Oui, effectivement. Et pourtant, Dave Lawper a déjà été sous les ordres de plusieurs “fils spirituels” de Dark Vador dans sa courte carrière. Les exemples réels ne sont pas aussi tranchés, mais on en retrouve certains éléments plus souvent qu’on ne pourrait le croire.
Posons-nous donc la question : qu’aurait pu faire Dark Vador pour galvaniser ses équipes et obtenir des résultats bien plus satisfaisants ? Comment aurait-il pu achever le chantier de l’étoile noire avec succès ?
Alternative
Alors que la méthode de Dark Vador est clairement unidirectionnelle, la solution est au contraire de le prendre à contre-pied.
Accepter l’erreur
Le chantier de l’étoile noire est par nature basée sur de la notion de projet. La définition référencée par Wikipédia est la suivante :
Un projet est —en management d’entreprise — un ensemble finalisé d’activités et d’actions entreprises par une « équipe projet » sous la responsabilité d’un chef de projet dans le but de répondre à un besoin défini dans des délais fixés et dans la limite d’une enveloppe budgétaire allouée.
L’article ajoute également la chose suivante :
Le fonctionnement en « mode projet » se distingue du fonctionnement en « mode processus » en ce sens qu’une activité conduite en mode projet n’est généralement pas destinée à être répétée : son côté « inédit et unique » souligne la probabilité d’être confronté à un environnement incertain, du fait de l’absence plus ou moins grande d’expériences ou de pratiques antérieures.
“Inédit et unique”. Comment garantir que quelque chose d’inédit et unique soit réussi du premier coup, dans des délais définis en avance, avec une fiabilité de 100% ? Même en procédant à toutes les analyses préalables, les estimations de coûts, les spécifications, etc, il reste toujours une part d’incertitude, qui est due à la nature même du métier créatif. Le créatif doit donc par nature faire des expériences, des tentatives, avant de parvenir à un résultat satisfaisant.
Prenons un exemple non technique : scrum. La philosophie de cette méthode agile peut être résumée en quelques mots. “Essayez, trompez-vous, et adaptez-vous”. Scrum ne donne pas une recette miracle, mais une bonne approche pour tendre vers la meilleure situation possible, en utilisant une approche par l’erreur.
Nous pourrions tous rester sur une méthodologie à l’ancienne, un cycle en V dont on connaît bien les forces et les faiblesses (tout comme le fait Dark Vador avec le chantier de l’étoile noire). Essayer et se tromper est le meilleur moyen pour déterminer une nouvelle façon de réduire ses faiblesses et de maximiser ses forces.
Scrum n’est qu’un exemple. On pourrait également en trouver d’autres sur des sujets plus techniques, fonctionnels, organisationnels, méthodologiques…
Alors ne faîtes pas comme Dark Vador. Ne blâmez pas l’erreur. Encouragez plutôt les initiatives visant à les corriger.
Manager, ne blâmez pas l’erreur. Encouragez-la.
Etre à l’écoute
Dark Vador est sourd. Celui qui ose aller à l’encontre de ses désirs ou de sa volonté se heurte à un mur. La discussion n’est pas permise, et la remise en question de ses décisions à la lumière d’éléments apportés par un tiers est refusée systématiquement.
Pensons à Kendal Ozzel qui a osé contredire Dark Vador au sujet des sondes envoyées à la recherche de la base rebelle, ou encore au contremaître de l’étoile noire qui demandait une rallonge de délai. La réponse ne diverge jamais, et tout élément même pertinent n’est pas pris en compte.
Imaginez un manager d’une équipe de développement usant des mêmes méthodes. Il une équipe de développeurs, d’ingénieurs, ou encore plus généralement de cadres. Ces membres d’équipe ont donc un minimum de jugeote. Les informations qu’ils remonteront auront la plupart du temps une vraie valeur qu’il peut être intéressant d’analyser.
Le manager doit rester critique face aux demandes en règle générale. Néanmoins, il est sage de donner une chance aux idées, et de creuser les implications avant de les jeter en bloc pour leur seul vice de ne pas venir de lui.
Les propositions d’amélioration ne sont pas les seules idées à valoir le coup d’être écoutées. Si un développeur lève une alerte sur une tâche qui s’annonce bien plus coûteuse que prévu, ou une faiblesse qu’il a découverte dans le design d’une application, la pire décision est de faire l’autruche. Toutes ces informations remontées sont des indicateurs à utiliser dans la gestion d’un projet pour prendre des décisions : remonter l’alerte à un client, décider de refactorer, etc.
Manager, soyez à l’écoute de votre équipe.
Se remettre en question
Ceci est un corollaire des deux points précédents, à savoir écouter et accepter l’erreur. Accepter l’erreur et être à l’écoute, c’est pouvoir accepter que l’équipe souffle des suggestions à expérimenter.
Une équipe a le nez dans le métier à longueur de journée. Elle le connaît bien, très bien même. Elle sait ce qui coince, ce qui la ralentit ou, au contraire, ce qui l’aide à avancer plus vite. L’équipe a des idées sur ce qui lui permettrait de s’améliorer, de gagner en productivité ou en bien-être. A son niveau, elle est force de proposition.
N’oublions cependant pas qu’une équipe n’a pas toujours conscience des enjeux extérieurs à sa zone d’influence. Une équipe de développeurs n’a pas toujours connaissance des défis du marketing ou des clients, alors que leur manager est généralement transverse dans ses implications au sein de l’entreprise. Cela signifie donc qu’il aura conscience d’un périmètre plus large, mais moins profond.
En confrontant un manager à la vision étendu avec un développeur connaissant très bien son domaine et très peu l’extérieur, il devient possible d’allier le meilleur des deux mondes, afin de combiner les idées de l’un et de l’autre.
Lorsqu’un développeur viendra proposer une idée qui lui parait géniale à son manager, celui-ci a la capacité et l’esprit critique suffisant pour comprendre s’il s’agit d’une idée complètement irréaliste, ou au contraire extrêmement ingénieuse.
En étant à l’écoute, dans le pire des cas l’idée est rejetée et aucune dégradation n’est apportée au sein de l’équipe. Dans le meilleur, elle apporte une amélioration. Le risque de se remettre en question n’est au pire néfaste que pour l’égo du manager de ne pas y avoir pensé plus tôt.
En étant à l’écoute, Dark Vador aurait certainement pu ne pas perdre bêtement sa première étoile noire.
Alors manager, sachez vous remettre en question face à la critique.
Conséquences
En appliquant ces principes, les implications sur les équipes sont aussi positives que nombreuses.
L’enthousiasme
Une équipe écoutée, à qui la bride est relâchée, aura son mouvement propre. Contraignez-là, et elle s’enfoncera dans des habitudes auxquelles elle n’aura pas le choix de dire non. Elle se verrouillera dans une routine ennuyeuse, persistant dans ses travers et perdant tout enthousiasme dans ses tâches.
Cette équipe écoutée aura à coeur de relever les problématiques qu’elle rencontre, de les remonter à son manager, et même généralement de proposer des solutions. Etant libre de s’exprimer, elle pourra s’épanouir et s’améliorer par elle-même, plutôt que de pester contre des contraintes imposées qui lui pourrissent la vie sans vraie bonne raison.
Une équipe à qui un manager saura dire non aux moment opportuns se sentira libre de s’auto-améliorer tout en conservant des garde-fous, et ainsi ne pas craindre de partir totalement en dérapage dans une direction mal avisée.
L’élévation
Une équipe habituée à se remettre en question et à changer gagnera en intelligence. Elle aura emprunté différentes voies, et des personnalités vont se dégager. Les meneurs de ces équipes, ceux qui amènent la majorité des améliorations, seront d’excellents candidats pour s’élever dans la hiérarchie.
Ayant eux-mêmes expérimenté leurs idées, ces meneurs seront à même de prendre les commandes d’une équipe dans l’avenir, avec une transition aussi douce que possible, tout en ayant une certaine légitimité. Cette progression lutte contre le phénomène de manager catapulté à ce poste sans aucune expérience passée.
Fidéliser les équipes
L’écoute, dans une entreprise, joue grandement sur le bien-être de l’employé. S’il se sent épanoui dans sa structure, il aura bien moins de raisons d’aller jeter un coup d’oeil dans le champs d’à-côté, voir si l’herbe lui apparaît plus verte.
Les équipes seront donc plus stables, et bénéficieront d’une meilleure cohésion et d’une bonne dynamique. La formation d’un nouveau membre d’équipe est toujours longue et coûteuse. Sa productivité n’atteint un niveau normal qu’après des mois, parfois jusqu’à une demi-année, pendant lesquels votre équipe n’est pas à son rendement optimal. Autant réduire autant que possible ce coût.
La stabilisation d’une équipe, épanouie au demeurant, reste un moyen sûr de fiabiliser la quantité de travail achevée chaque jour.
#Conclusion
A l’instar de Dark Vador, il est possible de monter une équipe, voire un service ou une entreprise complète en se basant sur un management sévère et fortement contraint. Certaines boîtes se sont bâties sur ce principe, et perdurent aujourd’hui grâce à des atouts tiers, tels qu’un marché porteur ou un produit qui se démarque.
Néanmoins, si les managers peuvent être talentueux et pleins de ressources, il est dommage de ne pas compter sur les petites mains qui sont la force vive de l’entreprise. accordez-leur de la liberté, de la flexibilité et du confort. Ils sauront vous le rendre et vous apporter une belle plus-value.
Rémi Doolaeghe est un développeur freelance Java partisan du manifeste agile et de l'artisanat logiciel. Il a développé son expérience pendant 5 années au service d'éditeurs de logiciels de la métropole lilloise avant de devenir développeur indépendant. L'agilité et la collaboration sont ses moteurs dans un univers où l'expertise technique à elle seule n'est qu'un premier pas vers l'excellence.
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