Interview avec Alexis

Freelance dans la conduite du changement dans la métropole lilloise

Durant les recherches que j’ai effectuées en vue de quitter le salariat et d’entamer la grande aventure du freelancing, j’ai fait la rencontre d’Alexis qui a accepté de répondre à mes questions.

Alexis, bonjour. Pour commencer, quelle est ta situation actuellement ?

Je suis indépendant depuis début 2014. Je suis consultant dans l’amélioration continue des système de production, notamment autour de la notion de devops. Je suis aujourd’hui en mission chez un grand compte de la mode. Je les accompagne dans leur campagne de restructuration qui intervient également dans leur système d’informations, au niveau de la gestion de projet et de l’amélioration continue en leur apportant un peu de recul sur leurs processes. Mon offre s’articule autour de l’animation méthodologique et de la technique.

Comment procèdes-tu pour te placer chez un client ?

J’ai expérimenté deux modes de fonctionnement. Portage salarial et apporteur d’affaires.

L’apporteur d’affaire, type espace freelance. Il référence des demandes de la part de prospects et les propose ensuite à ses prestataires freelance qui peuvent alors, moyennant une rétrocommission sur l’affaire, l’accepter. L’apporteur d’affaire est le pendant commercial là où le freelance apporte sa contribution technique. En pratique, l’apporteur d’affaire et le freelance ne sont pas subordonnés l’un à l’autre.

Le portage salarial peut être utile lorsque tu crains d’avoir d’importants inter-contrats. Tu as des cotisations comme un salarié, mais tu peux bénéficier des services de Pôle Emploi en cas de période de vache maigre. Le portage peut-être avantageux par exemple, quand tu as besoin de trouver un nouveau logement. Typiquement, lors d’un prêt immobilier auprès d’une banque, le portage te donne le statut de salarié et rassure les banques. En statut freelance, tu as besoin de témoigner de trois bilans rassurants pour l’établissement bancaire.

Le portage t’amène tous les avantages du salariat tout en te permettant de conserver ton indépendance, puisque tu gères par la suite toi-même ton portefeuilles client sans ingérence de la part de la société de portage. En revanche, tu as une petite commission à payer pour profiter de ces services.

Est-ce que tu as essayé les plateformes de référencement, de type hopwork ou freelance-republik ?

Oui, je me suis inscrit sur Hopwork à leur création. Leur développement sur Lille est encore assez faible, mais c’est en devenir. A mon sens, une bonne part des profils est très lié aux métiers créatifs et du marketing. Selon les dires de leur fondateur, les développeurs freelance ne sont pas leur coeur de cible. Il ne leur ferme pas sans pour autant leur portes, mais ne les recherche pas non plus activement. Ce sont les opportunités qui feront le développement de leur activité sur cet axe.

Sur l’année passée, j’ai eu une dizaine de contacts intéressants via cette plateforme. Les profils de clients sont davantage des PME, voire des ETI. Les grands comptes ont davantage tendance à se reposer sur des ESN, qui elles-mêmes sous-traitent à des indépendants.

Comment t’es-tu fait connaître à ton lancement ?

J’ai répondu à des annonces sur freelance-info, un grand espace où les ESN, sociétés de portage et apporteurs d’affaire viennent poster des annonces. J’ai été mis en contact avec mon partenaire par ce biais-là.

Il est également possible de contacter des ESN, car se faire placer en direct est plus difficile. Cela se permet de se faire connaître sur le marché.

Si tu vises un client grand compte, sache qu’il est difficile, voire impossible, pour un freelance d’avoir une relation directe avec lui. Les lois récentes font reculer les grands compte, car un freelance dont le CA dépendant à au moins 51% d’un seul client est en droit, selon la loi, de se retourner contre le grand compte si celui-ci décide d’arrêter ce contrat. De ce fait, les grands comptes préfèrent dans la plupart du temps se placer en relation avec un intermédiaire jouant le rôle de tampon entre lui et le freelance.

Utilises-tu des moyens de communication pour te faire connaître (blog, confs…) ?

Pas spécialement. En revanche, j’ai tissé un réseau avec plusieurs freelances sur la région. Je peux échanger avec eux au sujet de nos expériences et nos réseaux de contacts, et on se recommande mutuellement, en se basant sur la confiance.

Les freelance sont très communautaristes, mais pas au sens péjoratif. Etant donné que le marché est énorme, il y a toujours du travail, et les échanges d’affaires sont monnaie courante entre freelances.

Le freelance et un chef d’entreprise. A ce titre, il doit savoir s’entourer de relations fiables et loyales. Chacun peut donner un coup de main à un autre, et se faire tendre la main en cas de coup dur. Pouvoir s’appuyer sur un réseau de confrères permet d’assurer une ambiance de partage au quotidien.

Comment factures-tu ? Au jour ou au forfait ?

Il est difficile pour un freelance de travailler au forfait, puisque cela implique une obligation de résultat. Quand on a une certaine expertise technique, c’est envisageable. Contractuellement parlant, c’est à double tranchant. Si tu vends un service avec un délai de 100 jours, tu es bénéficiaire si tu le délivres en 50 jours. En revanche, si tu le délivres en 150, tu peux avoir des pénalités, et la dérive est pour ta pomme puisque tu travailles 50 jours gratuitement.

Personnellement, je suis un gestionnaire, je fais de la prestation intellectuelle, et c’est donc difficile de facturer au forfait avec un engagement de résultat. Il est plus raisonnable de partir sur de la régie.

Si tu travailles pour une PME qui a des besoins de résultats, peux-tu également te positionner sur une facturation au jour ?

Oui, c’est plus prudents dans tous les cas. Le problème majeur avec le forfait, outre le risque pour le freelance, c’est que tu t’engages dans une boîte noire. Tu signes un contrat en forfait pour un livrable, et rien n’est modifiable avant la livraison finale au terme du délai. C’est la problématique du cycle en V dans le développement applicatif. Est-ce que ce qui sort de la boîte noire est conforme aux attentes ? Et si tu décides de sous-traiter, c’est ta responsabilité aussi qui est engagée, dans le cas où ton sous-traitant ne tient pas ses engagements.

En mode régie, il y a une culture du résultat. On n’est pas là pour se tourner les pouces. On est au service du client qui anime la prestation. En forfait, c’est au prestataire d’animer lui-même la prestation. La régie permet également d’absorber un pic de charge sans avoir à passer par un CDI ou CDD. C’est la flexibilité offerte par le freelance.

J’ai déjà eu des périodes pendant lesquelles j’étais chez un client en pleine phase de réflexion, période pendant laquelle j’avais un creux d’activité. Par déontologie, j’ai préféré dire au client que je rentrais chez moi le temps qu’il prenne sa décision, pour ne pas le facturer inutilement. Je lui ai demandé de penser à moi le jour où il aura pris votre décision. Cette façon de faire te donne une bonne image auprès du client, puisque tu ne le prends pas pour une vache à lait. Cela contribue à avoir une bonne relation avec lui.

Dès lors que tu as établi une relation de confiance avec ton client, c’est du gagnant-gagnant. Typiquement, si tu souhaites passer un peu de temps en télétravail pour aménager ton emploi du temps, cela se fait avec bien plus de facilité.

J’aimerais revenir sur le forfait. Certains freelance dans le développement proposent une offre au forfait avec une application très basique (MVP), et ensuite toute évolution se fait à la facturation au temps passé. Que penses-tu de ce mode de fonctionnement ?

Les freelances qui procèdent de cette façon ont sous le coude une vraie offre commerciale qui s’appuie sur un savoir-faire concret. Ils peuvent proposer un socle technique existant, et développer ensuite du spécifique.

J’ai un contact qui, sur son temps personnel, a développé une offre de service prestashop. Avec ce produit, il peut vendre ce socle générique et des modules spécifiques à la carte, avec une offre d’hébergement. Il peut donc adapter son modèle au contexte du client. C’est donc un modèle économique différent, où l’offre ne se réduit pas à un savoir-faire. A chaque évolution faite avec un nouveau client, cela lui permet de créer des nouveaux modules qu’il peut ensuite intégrer à son offre. En pratique, il négocie avec le client pour lequel il développe un module de conserver la propriété intellectuelle en échange de jours de gratuité. Il faut néanmoins trouver un client qui accepte de laisser la propriété intellectuelle.

A mon sens, quand tu as une offre commerciale à proposer, tu n’es plus freelance mais chef d’entreprise. Un freelance vient pour moi vendre du temps de service à son client. Une entreprise a un produit à vendre. C’est la grande différence à mes yeux.

Est-ce qu’il vaut mieux cibler un type de client spécifique, ou rester large ? Vaut-il également mieux offrir une spécialisation technique, ou rester généraliste ?

Au niveau de la cible de client, je dirais que les tarifs pratiqués par les grands comptes et les PME ne sont pas les mêmes. Tu pourras passer d’un marché de PME à un grand compte avec un tarif à la hausse. L’inverse est bien plus difficile.

Chez un grand compte, tu as généralement des processes plus établis, une qualité bien installée, plus de professionnalisme que ne l’ont les PME fonctionnant sur un principe plus traditionnel, voire artisanal. Une entreprise de grande taille aura posé un cadre plus strict et plus rigoureux dans la plupart des cas.

Il faut également savoir qu’en tant que freelance, si tu travailles pour un grand groupe, tu évolueras dans les sphères de grands groupes. Automatiquement, ton réseau sera donc un réseau ciblant plus spécifiquement des grands groupes. Si tu décides ensuite de repartir vers les PME, ton réseau devra être à nouveau construit pour entrer en contact avec des freelance préférant traiter avec elles, car les populations ne sont pas les mêmes.

Typiquement, espace-freelance évolue davantage dans les grands groupes.

Dans le monde du dév, je connais peu de monde qui reste généraliste. Néanmoins, il est important d’avoir une culture transverse. Pour un développeur Java, il peut être bénéfique de connaître également le monde de la virtualisation, par exemple. De cette façon, tu offres ta spécialisation, tout en ayant le bras un peu plus long pour proposer un petit plus. Ces compétences supplémentaires, transverses et connexes, sont pertinentes. Autres exemples : un administrateur Linux n’est pas un administrateur Windows, mais il aura tout de même cette culture pour avoir une vision plus large. Un développeur PHP aura une culture autour des serveurs d’applications, parce que cela a de la pertinence dans ce métier.

En résumé, il est bon d’avoir une spécialisation qui sera ton argument de vente, tout en ayant une culture des sujets connexes à ta spécialisation pour avoir de la pertinence dans les sujets que tu pourras rencontrer en implémentant tes compétences principales chez un client.

Il est également important de te faire certifier et de suivre des formations régulièrement afin de te maintenir à jour.

Est-ce que le statut de freelance te laisse du temps pour faire de la veille ?

Oui, car tu organises toi-même ton temps de travail. Je me réserve plusieurs heures par semaine, en dehors de mon activité chez le client. Tu peux suivre des présentations, typiquement, comme les JUG pour les développeurs Java. Je suis également des formations en dehors de mon temps facturé. Je pars parfois quelques jours suivre une formation auprès d’un institut.

Un freelance peut vouloir suivre des formations. Dans certains cas, cela se fait avec l’aval du client. D’ans d’autres cas, le client peut refuser. Dans ce cas particulier, le freelance peut tout de même suivre sa formation sans pour autant en informer son client. Il peut partir sous couvert d’un congé pour aller suivre un séminaire, sans que son client ait à le savoir.

Il peut également y avoir un autre cas de figure, à savoir que le client peut participer au financement d’une formation parce qu’il peut en avoir besoin. Il faut alors faire valoir la plus-value au terme de cette formation pour le convaincre de participer financièrement.

Certains clients peuvent néanmoins refuser de sortir le moindre sou, même si cette formation peut apporter un nouveau savoir-faire. A ce moment, le freelance peut très bien participer à cette formation, mais ne pas en faire bénéficier le client au terme de celle-ci. La formation sert ainsi uniquement le freelance. Cela dit, la situation n’est pas vraiment saine, puisque le client pourrait très bien avoir besoin de ces compétences à l’avenir. A ce moment, le freelance se verrait dans l’obligation de prétendre qu’il ne les a pas et qu’il devra les apprendre sur le tas. Cette problématique peut être un indicateur de la qualité de la relation qui existe entre le client et le freelance.

Le freelance doit de toute façon savoir se tenir à jour, au risque de signer son arrêt de mort s’il ne fait aucune veille.

Personnellement, je me suis fixé comme objectif d’avoir une nouvelle corde à mon arc tous les 18 mois. J’entends ici un sujet sur lequel je m’oblige à être à l’aise alors que je ne le suis pas aujourd’hui.

Si tu t’entends bien avec le client, il peut très bien accepter de te laisser une heure de veille par jour pour, en retour, bénéficier de ce que tu auras acquis comme compétence. Ca marche bien dans la grande distrib, les bancassurances, etc. Un peu moins dans l’industrie en général.

A tes débuts, as-tu fait appel à un avocat pour les CGV, questions juridiques, contrats… ?

J’avais déjà une certaine culture sur ces sujets-là, j’avais suivi des formations pour m’assurer que mes aspects juridiques étaient bien définis.

Pour quelqu’un qui se lance, la chambre de commerce propose ce type de service afin de s’assurer que l’offre commerciale est bien définie d’un point de vue juridique.

Fais-tu appel aux services d’un comptable ?

Oui, car la charge de travail n’est pas négligeable. J’ai quelqu’un qui s’occupe de mon périmètre comptable et mon périmètre social. Quand on est indépendant, on dépend du RSI pour la sécurité sociale. Il faut des contrats d’assurance, de retraite, etc… Mon expert comptable gère donc ma comptabilité et garantit mes démarches auprès du RSI, de l’URSSAF, des caisses de retraite…

J’ai un pilotage mensuel avec lui pour discuter de ma situation comptable, et trimestriel pour la partie sociale.

Au final, ça ne coûte pas si cher que ça au niveau de la valeur ajoutée pour ton entreprise.

Est-ce que tu as de la liberté dans l’organisation de ton temps de travail (horaires, congés…) ?

Au niveau des horaires, on se cale souvent sur le contexte du client, auquel il faut s’adapter. Dans le contrat que tu signes, tu pourrais avoir des horaires spécifiés. Personnellement, je prévois aussi les conditions de travail en dehors du travail (astreintes…). Je me suis fixé 35h de travail sur le papier. En pratique, je suis vers 40/42h.

Côté congé, je me cale aussi sur le rythme du client. Si le client a besoin d’avoir les congés posés en février pour la période estivale, je fais mon maximum pour répondre à ses contraintes.

Néanmoins, les clients sont souvent compréhensifs. Tu es freelance, tu as donc une flexibilité, et cet état d’esprit de flexibilité. Le client en a la plupart du temps conscience.

Si j’ai besoin d’aller chez le dentiste en milieu d’après-midi, ou n’importe quelle urgence, je le préviens toujours dès que possible, et ça ne pose pas de problème.

En général, il est de bon aloi de travailler en bonne intelligence, et s’arranger avec le client. De cette façon, c’est sain et clair. C’est pas du donnant-donnant, mais c’est de la bonne pratique.

Perso, ça m’est arrivé d’avoir des semaines super chargées. Le vendredi, tu es sur les rotules à 15h. Tu vas voir ton client pour lui dire que tu as fait le forcing toute la semaine, et que tu aimerais lever le pied ce jour-là pour compenser.

Derrière ça, si le client tire un peu trop sur les horaires, c’est que la facturation est à revoir. Que le client ait besoin d’un coup de collier ponctuellement, tu peux accepter, si derrière tu as une compensation. Typiquement, pour un démarrage de projet, tu peux avoir besoin de faire des grosses semaines. Derrière, tu vas voir le client pour voir si tu factures les heures supplémentaires, ou si tu récupères le temps de travail un peu plus tard.

L’idée, c’est de laisser un peu de mou sans pour autant se laisser marcher sur les pieds. Tu restes un humain avec une vie de famille derrière, après tout !

En tant que freelance, Est-ce que tu as suffisamment d’offres pour pouvoir choisir le projet qui te plait ou qui t’enthousiasme ?

Sur le dernier trimestre de l’année dernière, j’ai refusé 3 missions parce que je ne voulais pas abandonner mon client en cours de route. Néanmoins, je lui ai fait part de mes opportunités.

Quand tu passes par une société d’apport d’affaires, une fois que tu es placé chez un client, ils ne viendront pas te voir avec des opportunités de nouvelle mission. Ils vont attendre que ton client soit exploité au maximum avant de te repositionner ailleurs. Ce n’est pas l’apporteur d’affaires qui va te replacer de sa propre initiative.

Une fois ton réseau installé, as-tu encore beaucoup d’inter-contrats ?

Dans le pire cas que j’ai été donné de voir, j’ai un de mes confrères qui a mis un peu plus de trois semaines pour retrouver un nouveau contrat. Il faut néanmoins en règle générale bien préparer ton préavis pour ne pas être pris de court et trouver ton futur contrat avant que le précédent ne s’achève.

Chez un client, quel type de relation tu entretiens avec tes collègues ? Est-ce qu’il y a une distanciation, ou est-ce comme être salarié ?

J’ai vécu les deux. J’ai vécu une expérience dans laquelle tu es une personne humaine avec de la valeur, et que tu sois interne ou externe c’était pareil. J’ai une autre expérience où tu es clairement mis à part.

Alexis, je te remercie pour toutes les réponses que tu as apporté. Ta contribution m’a été précieuse, et je ne doute pas qu’elle m’aidera dans mon projet.

Ce fut un plaisir. Si quiconque te demande à me contacter, il peut t’en faire part et tu pourras transmettre mes coordonnées.

Pour bien démarrer, je te recommande de contacter un apporteur d’affaires. Parmi eux, tu peux jeter un coup d’oeil à espace-freelance, Rhizome IT, Insitoo IT.

Bon courage pour ton démarrage !

Bibliographie

Apporteurs d’affaires

espace-freelance

Rhizome IT

Insitoo IT

Plateformes de freelances

hopwork

freelance-republik

Photo de Rémi Doolaeghe

Rémi Doolaeghe est un développeur freelance Java partisan du manifeste agile et de l'artisanat logiciel. Il a développé son expérience pendant 5 années au service d'éditeurs de logiciels de la métropole lilloise avant de devenir développeur indépendant. L'agilité et la collaboration sont ses moteurs dans un univers où l'expertise technique à elle seule n'est qu'un premier pas vers l'excellence.

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