J'ai pas le temps !
Ne laissez pas votre temps libre vous échapper
February 15, 2016
J’ai pas le temps ! Dave Lawper a mis cette réplique en favori dans un coin de son crâne tellement il y a recours en permanence. Il ne se passe d’ailleurs pas une seule journée sans qu’il la prononce. Que ce soit à Herman Adger, Deb Lopez, Mundir Hecteur, Pat Ron ou encore à sa femme, il ne se prive pas pour pousser sans arrêt cette ritournelle hors de ses lèvres. Il en est convaincu. Il n’a pas le temps.
Analysons un peu avec Dave Lawper son emploi du temps classique. Dave Lawper est développeur dans une ESN, et travaille donc du lundi au vendredi. Classiquement, il assure des horaires 9h-18h, avec un temps de trajet d’une bonne demi-heure dans un sens comme dans l’autre. Il se lève donc en semaine vers 7h, traînaille sous sa douche et sur sa table de petit-déj avec une biscotte coincée dans la bouche et quelques miettes sur la table, juste à côté de son café. Il lui faut bien le temps de se réveiller, à notre bon Dave Lawper. Une dure journée l’attend. Sur son lieu de travail, il suit le rythme moyen de son équipe, et fait une pause de 12h à 14h où il en profite pour avaler un casse-croûte bien mérité, et traîner près de la machine à café ou sur le web pour se détendre. Sa matinée a été productive, c’est un repos bien mérité. Dave Lawper enchaîne ensuite sur une après-midi parfois stressante, parfois aussi calme qu’une mer d’huile. Il quitte son lieu de travail, la plupart du temps à l’heure voulue, ou parfois avec certaines variations pour répondre aux demandes de son job. C’est donc vers 19h, dans le pire des cas, qu’il est chez lui. L’heure du dîner approche. Avec sa femme, ils manquent un peu d’énergie et se proposent systématiquement de s’affaler dans un bon canapé bien mérité devant Hanouna, jusqu’à partir faire à manger une boîte rapide tout juste sortie du frigo. Une fois la collation consommée, il se fait tard. 21h. Pas bien le temps de faire grand-chose, alors il traîne devant son poste, ou sur son mobile. Il est déjà l’heure de se coucher.
Le week-end est différent. 48h libres s’annoncent pour mener à bien n’importe quelle projet. Mais Dave Lawper est un peu flemmard. Il traîne au lit le samedi matin jusque 11h. Une fois lavé et habillé, il est l’heure de faire le repas, repas qui se termine vers 14h, voire 15h avec le petit café qui va bien. Comme c’est le week-end, il décrète qu’il a le temps et traînaille encore jusque 16h, sans grande motivation pour quoi que ce soit. Il se décide enfin à accomplir les corvées inévitables. Un aspirateur à passer, du courrier à boucler… Les options ne manquent pas. Il est rapidement 18h. Dave Lawper se dit alors qu’il est trop tard pour entamer quoi que ce soit, et il se jette sur sa tablette pour voir les nouveautés de son fil Facebook. La soirée se termine sans qu’il ait le temps d’accomplir quoi que ce soit de concret ou d’utile. Le dimanche est souvent occupé par une réunion de famille, ou une invitation par des amis. Le dimanche n’offre que peu de possibilité pour faire quoi que ce soit de productif. Et le lundi arrive, déjà.
Les semaines s’enchaînent, et Dave Lawper est noyé dans ce sentiment de pénurie de temps permanente. Il n’a pas le temps de répondre aux imprévus. Une tuile, une urgence, et il n’a pas de créneau disponible dans son emploi du temps pour y répondre, alors il consent toujours un sacrifice et fait au mieux. A la fin de sa journée de boulot, en sacrifiant son repos bien mérité. Ou en plein milieu du samedi après-midi, coupant court à tout autre projet bien plus intéressant. Et justement, Dave Lawper a des projets personnels qu’il aimerait mettre en place. Il aimerait écrire. Il aimerait s’engager dans une association. Oui, mais le temps lui manque. “Je n’ai pas le temps !”
Et pourtant, Dave Lawper déborde de temps libre, mais il n’en a pas forcément conscience. Ou il ne se donne pas les moyens de pouvoir utiliser ce temps à bon escient. Ce qui est magique avec un emploi du temps, c’est sa propriété élastique. Qui n’a jamais entendu un jeune retraité dire : “Je n’ai jamais été aussi débordé depuis que je suis à la retraite !” ?
Et c’est tellement vrai. Lorsque vous débordez de temps libre, il finit toujours par miraculeusement se retrouver occupé de futilités. Lorsqu’en revanche il vient à vous faire défaut, la moindre minute devient inestimable et utilisée au meilleur escient. Le plus dramatique de cette ritournelle, c’est qu’elle peut être aisément vaincue avec un peu d’assiduité. Dave Lawper aimerait écrire, mais il n’a pas le temps. Pourtant, il a deux heures le matin, entre son réveil et l’arrivée sur son lieu de travail. Retirons-lui une demi-heure de trajet, et accordons-lui donc une heure et demi. Soyons généreux, il peut se satisfaire de consacrer une heure à sa toilette et son petit-déjeuner sans souffrir de ce sacrifice de confort. Et par magie, une demi-heure s’est libérée le matin. Que peut-on faire en une demi-heure ? Lorsqu’on écrit, comme Dave Lawper, c’est un laps de temps largement suffisant pour avancer sur un article, un chapitre ou toute autre production. Etant donné que la séance est bien délimitée sur le plan temporel, l’esprit va s’adapter à cette contrainte, et fournir une productivité bien suffisante pour permettre une avancée significative. Multipliez cette demi-heure par les cinq jours de la semaine, et le voilà avec un total de deux heures et demi. A consacrer uniquement à son projet, chaque semaine. Et pourtant, Dave Lawper n’a même pas dû sacrifier quoi que ce soit. Cette demi-heure chaque jour, il la perdait sans même s’en rendre compte, et il n’en ressentira même pas le manque puisqu’il la laissait filer entre ses doigts sans même vraiment en profiter.
Dave Lawper pourrait également se bloquer d’autres plages horaires, le soir, le week-end… Peu importe, il existe toujours des moments qu’il est possible de consacrer à des tâches ou des projets avec une réelle valeur pour lui. Il aurait le temps de se lancer dans des rêves qui lui tiennent à cœur, et pourtant il laisse le temps filer sans même s’en rendre compte.
S’il fallait tirer une morale de cette histoire, elle serait la suivante : Déterminez ce qui compte réellement pour vous, ce dans quoi vous aimeriez vous investir. Et placez-le en priorité dans votre emploi du temps, une fois les contraintes obligatoires positionnées (votre travail, votre famille…). Imposez-vous éventuellement des créneaux fixes dans votre journée, votre semaine, quitte à vous lever juste un peu plus tôt le matin, ou vous coucher plus tard le soir. Chassez les déchets temporels qui polluent votre emploi du temps, et mettez-les au rencard. Ne me dîtes pas que c’est impossible, ça l’est dans une vaste majorité des cas. Et plus jamais vous n’aurez à prononcer la fameuse ritournelle de Dave Lawper.
Vous aurez enfin le bonheur de pouvoir vous consacrer à ce qui vous tenait depuis toujours à coeur.
Rémi Doolaeghe est un développeur freelance Java partisan du manifeste agile et de l'artisanat logiciel. Il a développé son expérience pendant 5 années au service d'éditeurs de logiciels de la métropole lilloise avant de devenir développeur indépendant. L'agilité et la collaboration sont ses moteurs dans un univers où l'expertise technique à elle seule n'est qu'un premier pas vers l'excellence.
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